« C’est peu après avoir franchi ce que fut à Saint-Jean-Port-Joli le domaine seigneurial des Aubert de Gaspé que le voyageur venant de Québec et utilisant l’ancien chemin du Roy longeant le fleuve Saint-Laurent parvient au “canton” où œuvre depuis bientôt cinquante ans Jean Julien Bourgault. Au sommet d’une petite élévation d’où le regard embrasse l’horizon avec ses phares, ses îles et la “chaîne des caps”, s’élèvent les bâtiments au frais coloris de la nature qu’habite maintenant presque sans interruption le grand artiste qu’il est.
Les quelques sculptures de choix qui agrémentent les pelouses de son jardin et les abords de son atelier ne laissent aucun doute sur la nature de sa profession et la qualité de son art. Son village compte de nombreux sculpteurs formant une pyramide au sommet de laquelle est inscrit son nom, de même que ceux de ses frères Médard et André.
Avant-dernier d’une famille de seize enfants, Jean Julien Bourgault est né à Saint-Jean-Port-Joli le 22 juin 1910, du mariage de Magloire Bourgault, charpentier-menuisier, et d’Émélie Legros. […] C’est auprès de ses parents et de ses frères et sœurs que Jean Julien Bourgault passa son enfance. […] Puis vinrent, avec l’adolescence, ses premières pérégrinations. À Montréal, il étudia chez les Frères de la Charité. Au “pilier de pierre”, durant une saison, il servit d’adjoint à son frère Antonio, gardien de ce phare qu’on découvre de son village natal. Sur la mer, il navigua entre Québec et Terre-Neuve sur le Sable I, commandé par le vieux loup de mer que fut le capitaine Antoine Fournier. À Québec, il étudia l’anglais, suivit des cours d’ébénisterie et travailla comme menuisier et charpentier. […]
La crise économique que traversèrent le Canada et les États-Unis, durant l’entre-deux-guerres, l’obligea toutefois à regagner Saint-Jean au début de 1931. Il le fit non sans plaisir car les succès remportés par son frère Médard, qui après avoir quitté la navigation au long cours, s’adonnait à la sculpture depuis déjà quelques années, lui laissaient entrevoir, à lui aussi, la possibilité de s’épanouir vraiment selon ses goûts, ses aspirations et ses aptitudes. C’est à cette époque, soit le 6 octobre 1934, trois ans après son retour au milieu des siens, qu’il contracta mariage avec Marie-Antoinette Caron, une personne exceptionnelle qui allait contribuer à sa façon à son succès. […]
La carrière de sculpteur que commença Jean Julien Bourgault en 1931 ne fut pas le fruit d’une génération spontanée. Il n’est généralement pas aisé de discerner les influences qui mènent les hommes à œuvrer avec succès dans un domaine plutôt que dans un autre. Dans son cas, il semble cependant assez facile d’identifier au moins les traces les plus profondes qui le menèrent à son incontestable réussite. Habitué très tôt à travailler le bois, d’abord dans l’atelier de son père, ensuite sur la mer ou au “pilier” et enfin à Québec, il n’avait qu’à faire un pas, avec le talent qu’on lui connaît, pour passer du canif et des outils du menuisier aux gouges, aux maillets et aux couteaux du sculpteur.
Il n’en fallait pas davantage non plus pour passer des ébauches de l’amateur aux œuvres de l’artiste authentique. Non seulement son frère Médard, décédé le 21 septembre 1967, se trouvait alors à ses côtés, mais aussi sa mère qui, artisane et couturière, lui avait donné le goût de crayonner et de gribouiller, même durant les classes d’Histoire sainte, de catéchisme, de grammaire ou de calcul. Il y avait aussi son oncle et parrain, Albert Legros, marin et sculpteur lui aussi à ses heures, qui sut l’intéresser à sa collection de bateaux miniatures et de bibelots. […] L’encouragement que Médard et lui reçurent dès les premières années de personnes aussi prestigieuses que Marius Barbeau, Jean-Marie Gauvreau, le colonel William Bovey, Georges Bouchard et Adélard Godbout, ne put qu’avoir également un effet bénéfique. […]
Jean Julien excelle aujourd’hui dans l’art paysan. Grand observateur des traditions populaires, il sculpte, souvent avec humour, des statues, des bas-reliefs et des pièces montées qui suscitent l’admiration des plus grands connaisseurs. Les types légendaires ou folkloriques, les assemblées ou réunions de toutes sortes, occupent une place de choix dans la production de ses dernières années. Venu à la sculpture plus jeune que ses frères, son art, comme on l’a remarqué, semble plus averti, plus léger et plus moderne que celui de Médard et d’André. Non seulement sculpte-t-il dans le pin, le chêne, le merisier, l’érable, le tilleul, le noyer et l’acajou, mais aussi occasionnellement dans le granit, le marbre et la terre.
Nombreuses sont les compositions de Jean Julien Bourgault qui occupent aujourd’hui une place d’honneur dans les salons des grands de ce monde, dans les musées, les églises, les édifices commerciaux et les établissements publics. Dans les archives du sculpteur figurent des noms aussi célèbres que ceux de Vincent Auriol, président de la France de 1947 à 1954, de la Princesse Margaret, de Lord Beaverbrook, de Vincent-Massey, des maires de Montréal et de New York, pour ne citer que quelques noms.
On ne saurait toutefois sans être injuste restreindre la production de Jean Julien Bourgault à l’art paysan. Tout comme son frère Médard, il contribua lui aussi de façon magistrale au renouveau de l’art religieux au Canada. Durant une trentaine d’années, ses talents de menuisier et de sculpteur furent aussi mis à profit à l’occasion de multiples constructions ou restaurations de sanctuaires, de chapelles, d’églises et de cathédrales, aussi bien au Québec, qu’à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, en Ontario ou en Alberta. […] Dans l’église de Saint-Jean-Port-Joli, son nom figure à côté de ceux des Baillargé, de Pierre-Noël Levasseur, de François Ranvoyzé, de Laurent Amyot, de Louis Dulongpré et de quelques autres.
Maître-sculpteur, Jean Julien Bourgault n’a pas seulement contribué par ses œuvres à la renaissance de la sculpture sur bois au XXe siècle. Par l’exposition de ses travaux aux quatre coins de la province et à Ottawa, à Toronto, à New York, à Paris et à Tours, il a su également susciter un intérêt qui n’a pas cessé de grandir depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Grâce aussi à l’enseignement qu’il a fait presque sans arrêt depuis quarante ans, d’abord dans l’école fondée par lui et Médard en 1940, ensuite dans son propre établissement, à la suite de la mort accidentelle de son frère André en 195[7], il a su former des centaines de sculpteurs qui œuvrent aujourd’hui, non seulement à Saint-Jean-Port-Joli, mais dans plusieurs autres villes et villages du Québec. […]
La réputation de Jean Julien Bourgault n’est plus à faire. Peu de Québécois jouissent à l’heure actuelle d’un prestige aussi grand que le sien dans le domaine des arts. Reçu dans l’Ordre du Mérite national français en 1964, il devint aussi membre de l’Ordre du Canada le 18 décembre 1970.
S’il vous arrive de passer par Saint-Jean-Port-Joli et que vous avez la bonne fortune de rencontrer, tout près de l’Auberge du Faubourg, un gaillard alerte, jovial, aux yeux rieurs et coiffé d’un bérêt, maniant allégrement la gouge et le maillet du sculpteur, n’hésitez pas à l’aborder. Vous ne serez pas déçu. Ni la gloire, ni les années n’on rendu Jean Julien Bourgault inaccessible. Toujours chaleureux, il vous accueillera comme un vieil ami. Par son style simple, direct et sans prétention, il vous fera partager les sentiments qu’éprouvent les “gens de bois” de sa classe à enrichir la création de leurs œuvres incomparables. »
Référence :
Jacques Castonguay, « Jean Julien Bourgault, artiste sculpteur. Saint-Jean-Port-Joli », le 17 mai 1978 [prospectus biographique], 8 p.
Collections : Municipalité de Saint-Jean-Port-Joli, Privée, Gertrude Bourgault, Nicole Bourgault (Photographe : François Rousseau), Musée de la mémoire vivante (Photographes : Judith Douville et Isabelle Hardy), Jacques Chamard (Photographe : Judith Douville), Tricentenaire de Saint-Jean-Port-Joli (Photographe : Alphonse Toussaint (1918-2008))