« S’il est un type de maison qui connaît une grande popularité dans la seconde moitié du XIXe siècle, c’est bien celle que l’on appelle communément « mansarde », à cause de la forme particulière de son toit composé d’un terrasson à pente douce et d’un brisis plus ou moins incliné et plus ou moins galbé à sa base par le coyau et plus ou moins prolongé au-delà de la verticale du mur. Ce genre de toit dont l’origine se perd dans le moyen âge européen a été faussement attribué à l’architecte François Mansart (1598-1666) qui sera l’un des premiers grands constructeurs à faire usage de cette forme dans certains édifices de la grande architecture du XVIIe siècle. Ces gros édifices qui donneront le ton à certaines constructions domestiques comme c’est souvent le cas. […]
Bien sûr, cette mode pour les toits brisés n’est pas récente chez nous, puisque dès le XVIIIe siècle, un certain nombre de maisons de ville seront coiffées « à la mansarde » et suivront incontestablement une mode qui existe alors en France, plus particulièrement dans la métropole […]. En 1850, la maison à toit brisé revient à la mode, non seulement au Bas-Canada, en Amérique, mais aussi en Europe où les bâtisseurs sous Napoléon III relancent cette forme de toit dans un esprit où l’éclectisme apparaît de plus en plus dominateur. On fouille littéralement le passé pour remettre certaines formes et des répertoires décoratifs en vogue. […]
Le toit brisé apparaît donc comme une mode en Europe au milieu du XIXe siècle et sa rapide diffusion s’explique à coup sûr par la nouveauté des modèles, l’adaptation de ces toits à notre réalité et finalement au besoin d’espace de cette époque. Il faut ici signaler que la période s’étendant entre 1860 et 1910 a été l’une des plus importantes chez nous sur le plan de la construction domiciliaire. […] L’accroissement démographique, suite à un haut taux de natalité sur place, une forte immigration anglaise et irlandais ou écossaise, la prospérité qui renaît, voilà autant d’éléments qui expliquent le besoin d’espace et de nouvelles maisons. La mansarde, avec son toit brisé, […] est justement caractérisée par une grande possibilité d’occupation des espaces intérieurs. L’étage des combles, bien éclairé par les lucarnes, peut faire office de loyer ou peut être aménagé en chambres.
Ce sont tous ces facteurs qui expliquent le succès de la maison à toit brisé chez nous, dans la seconde moitié du XIXe siècle, comme on peut d’ailleurs le vérifier dans notre paysage architectural rural ou urbain architectural. (Lessard et Marquis, 1972 : 390-407) »
À Saint-Jean-Port-Joli, on remarque quatre maisons de ce type, construites à la fin du XIXe siècle. C’est l’architecte Charles Bernier (1864-1930) qui en aurait conçu les plans, probablement avec l’aide de son père et de ses frères. Voici ce qu’Arthur Fournier dit de cette homme, dans son « Mémorial de Saint-Jean-Port-Joli », en 1923 (N. B. : Le texte est rapporté ici tel qu’il a été écrit) :
« Charles Bernier l’éminent architecte bien connu à Montréal, Québec et ailleurs, est né à Saint-Jean en 186[4], de François Bernier et de [Virginie] Deschênes. Il est le frère de François, Gaspard, Anthyme, Ernest, Honoré et Phélippe, tous hommes d’une habileté remarquable, les uns comme maçons, qui était la profession du père, les autres comme menuisiers d’un mérite exceptionnel.
Enfant, Charles montrait des dispositions étonnantes pour l’architecture; entre autres ouvrages, il construisit une église en miniature d’un travail très délicat et d’un fini parfait. Ce petit chef-d’œuvre exécuté en bois existe encore dans la famille. […] Il serait impossible de mentioner tous les plans des édifices dus à son génie et dont il a dirigé les travaux. Qu’il suffise de dire que c’est lui qui a bâtie le Couvent des Sœurs de St-Joseph de Saint-Jean en 1903, et c’est son frère Ernest qui en fut l’entrepreneur. […]
En 1916, lors de l’érection du monument du Sacré Cœur sur la place de l’église de Saint-Jean, M. Bernier voulut bien faire exécuter à ses frais à Montréal, le beau socle en pierre de neuf pieds de hauteur sur lequel se dresse la statue de bronze du Sacré Cœur, et de plus envoya des hommes expérimentés de Montréal pour mettre le tout en place tel que nous le voyons aujourd’hui. En 1921, il fit encore don à l’église d’un superbe Ostensoir pour remplacer l’ancien qui commençait à se faire vieux et peu convenable. Espérons que cet homme de bien continura de se montrer digne fils de Saint-Jean-Port-Joli. (Fournier, 1923 : 167-168) »
Construite sur l’avenue de Gaspé Est à la fin du XIXe siècle par Eugène Dubé, menuisier-peintre, cette maison fait partie d’un ensemble de quatre maisons de style second Empire à toit mansardé, dont les plans sont attribués à Charles Bernier, l’apprenti des architectes David Ouellet et Joseph-Ferdinand Peachy.
« Gaspard Bernier, fils de François, [a] construit une maison carrée surmontée d’un toit brisé sur quatre eaux ou versants, soit un toit formé d’une pente supérieure appelée terrasson et d’une pente inférieure appelée brisis. Au rez-de-chaussée, la porte principale est ornée de baies vitrées, et les fenêtres comprennent un arc surbaissé. À l’étage, les lucarnes présentent des fenêtres empruntées au style palladien. La grande lucarne centrale, à baies multiples, rappelle celles que l’on retrouve sur les maisons dites « bourgeoises ». (Saint-Pierre, 2003 : 128) »
« Il s’agit ici d’une ossature légère : madriers à la verticale, lambris fait de planches à l’horizontale. […] La maison Anthyme-Bernier s’inscrit dans l’esprit de celles construites par Ernest et Gaspard. Ici s’ajoutent deux souches de cheminées et des modillons qui ornent les larmiers. La porte principale [est composée de divers éléments architecturaux remarquables] : baies vitrées, imposte en forme d’arc surbaissé, chambranle finement ouvragé, corniche superposée, fronton triangulaire dit « en capucine ». (Saint-Pierre, 2003 : 129) »
« [Celle-ci] se caractérise par l’avant-toit qui prolonge le brisis. Mais elle comprend aussi d’autres particularités : une « dentelle de bois tourné » orne les larmiers, et des poteaux corniers habilement ouvragés forment la balustrade. La porte comprend ses baies et son imposte vitrées en forme d’arc surbaissé. La partie vitrée, à gauche, est postérieure au carré initial. (Saint-Pierre, 2003 : 130) »
Textes tirés de :
Michel Lessard et Huguette Marquis, « Encyclopédie de la maison québécoise : 3 siècles d’habitations », Montréal, Les Éditions de L’Homme, 1972, p. 390-407.
J. Arthur Fournier, « Mémorial de Saint-Jean-Port-Joli », Saint-Jean-Port-Joli, Musée de la mémoire vivante, 2012 (1923), p. 167-168.
Angéline Saint-Pierre, « Hommage aux bâtisseurs », Cap-Saint-Ignace, La Plume d’Oie, 2003, p. 128-131.
Autre référence :
André Chouinard, « Biographie et inventaire de l’œuvre de l’architecte Charles Bernier », ARC-4510 et ARC-4523 : Travaux dirigés en aménagement, Montréal, Université de Montréal, 1988, non paginé.
Collections : Gérard Ouellet (Photographe : Élie Dumas (1865-1933)), Nicole Bourgault, Municipalité de Saint-Jean-Port-Joli, Musée de la mémoire vivante (Photographe : Isabelle Hardy)